08/31/2010 | Esther Oyarzun.
Plusieurs miliers de fermiers de l’Uttar Pradesh (nord) ont manifesté samedi 28 août dans la capitale, afin de dénoncer les acquisitions forcées de leurs terres par l’Etat pour un projet d’autoroute. Les agriculteurs indiens continuent d’être à la merci d’une loi coloniale, qui pourrait bientôt être amendée.
“Personne ne doit être privé de sa propriété, sauf si la loi l’autorise“. Article 300A de la Constitution indienne. La loi “qui autorise“, en l’occurrence, date de l’époque coloniale mais serait en passe d’être modifiée. Prêts à tout pour défendre la terre, les agriculteurs indiens mènent depuis plusieurs années des combats acharnés pour garder ce qui les fait vivre.
Votée en 1894 à l’époque de l’Inde britannique, la loi sur l’acquisition des terres (Land Acquisition Act ou LAA), autorise le gouvernement “à s’approprier les terres de n’importe quel propriétaire afin de poursuivre un certain objectif public ou pour une entreprise“. Cette acquisition peut se faire contre la volonté des propriétaires, mais une compensation leur est versée. La LAA est toujours en vigueur et engendre régulièrement des conflits.
Samedi 28 août, huit mille agriculteurs d’Uttar Pradesh ont manifesté à New Delhi pour protester contre le projet d’autoroute entre Noida, dans la banlieue est de la capitale, et Agra. Leur principale grief : le montant de la compensation pour les terrains expropriés. Celle-ci est calculée en fonction de cinq éléments : la valeur du marché du terrain majorée de 30%, les dommages causés par la dépossession, les frais de déménagement et divers intérêts. Dans les faits, c’est la “valeur du marché” qui pose problème, car elle est souvent sous-estimée. Vieille relique d’une ère coloniale, la LAA continue d’ôter la terre à ceux qui en vivent, non sans qu’ils se battent – parfois jusqu’à la mort – pour conserver ce bien précieux.
En avril 2005, l’Inde vote une loi sur l’introduction de Zones Economiques Spéciales (ZES) afin de développer le commerce. Le principe : n’importe quelle entreprise, une fois son dossier accepté par le gouvernement fédéral, peut s’établir sur un terrain, déclaré zone économique spéciale, en ayant acheté le lot à un prix dérisoire, après déportation des habitants. Dans certains cas, il s’avère difficile pour les sociétés de racheter un terrain morcelé, appartenant à plusieurs centaines de propriétaires. Les entreprises qui souhaitent s’implanter demandent alors à l’Etat de faire valoir la LAA. Une fois saisies les terres, l’Etat leur revend à un prix beaucoup plus élevé.
Nandigram, au Bengale occidental. En décembre 2006, les agriculteurs apprennent que leurs terres se trouvent sur le site destiné à l’implantation d’entreprises chimiques. Quatre mille hectares classés en ZES, réquisitionnés pour établir un centre industriel chimique du groupe Salem, et de l’Industrial Development Corporation, dont l’État est propriétaire. Les paysans se montrent réfractaires à céder leurs champs. L’Etat est décidé à s’approprier ces terrains, même dans le sang. Bilan: 14 morts, plus d’une centaine de blessés lors de fusillades – les policiers avaient fini par tirer à balles réelles- en mars 2007.
Un an plus tard, 500 hectares sont saisis à Singur, toujours au Bengale occidental, afin de construire une usine Tata motors pour le projet Nano. Certains activistes de l’opposition voient là l’occasion de fomenter une révolte paysanne… violemment réprimée par le parti communiste (CPI-M), au pouvoir au Bengale occidental. Des affrontements ont lieu pendant plusieurs semaines entre les membres du CPI-M et la police d’un côté, les paysans et l’opposition de l’autre, jusqu’à dégénérer. Des femmes sont violées, une jeune activiste, Tapasi Malik est brûlée, et un agriculteur désespéré se donne la mort. Finalement, le chef du gouvernement de l’Etat ordonne en octobre 2008 l’annulation du projet Nano, dont l’usine s’installera finalement au Gujarat.
Depuis, un amendement à la LAA a été proposé : la politique de réinstallation et de réhabilitation (R&R) revoit la définition des “objectifs publics”, et l’Etat pourrait saisir 30% maximum du terrain d’un propriétaire, à condition que 70% du terrain ait déjà été acheté par l’industrie privée. De cette manière, l’entreprise pourrait compléter son achat de parcelles, grâce à l’intervention de l’Etat sur les 30 % restants. Deux députés, dont Rahul Gandhi, ont rappelé mardi que l’amendement à la LAA sera pris en compte lors de la session d’hiver du Parlement indien.
La voix du peuple pourtant ne se tait pas devant ces amendements qui ne satisfont pas ceux à qui on ôte leurs terres. Mi-août, les agriculteurs d’Aligarh (Uttar Pradesh) ont vu mourir sous les balles de la police trois de leurs compagnons, lors des manifestations pour obtenir une plus grosse compensation après la saisie de leurs terres, pour la construction de l’autoroute. L’Etat règne encore en maître sur les terres de ses vassaux, dirait-on.
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