04/10/2013 | Julien Lathus (ALI).
Les dernières affaires de viols en Inde ont opéré un changement dans la mentalité des femmes indiennes. De plus en plus, elles décident de ne plus être victimes. Si les cours d’arts martiaux semblent avoir de beaux jours devant eux, certaines choisissent le parti plus radical de s’armer.
En décembre dernier, le viol et la mort d’une étudiante de 23 ans à Delhi a fait éclater le secret de polichinelle qui prévalait en Inde. Un visage peu connu de l’Inde avait alors été médiatisé, mettant en lumière l’insécurité des femmes, les dysfonctionnements de la justice et le poids de la société patriarcale. Face à ces menaces, la colère est montée et depuis cette tragédie, des centaines de demandes de licence de possession d’armes ont été enregistrées par les autorités de la capitale indienne. Dès lors, comment mesurer l’impact de ce phénomène sur la société ?
« De nombreuses femmes nous ont contactés pour nous demander des informations sur l’obtention d’une licence de port d’arme. Cela ne fait pas de surprise. Il y a des prédateurs sans peur dehors » explique Abhijeet Singh, un militant du lobby pro-arme indien Guns for India. La police de Delhi déclare avoir reçu près de 1500 demandes de licences de la part de femmes depuis le 18 décembre dernier. Elle avait traité 500 demandes pour toute l’année 2011.
Vers une individualisation de la sécurité ?
Mais il semble que cette recrudescence soit le fruit des émotions déclenchées par ces affaires, plus qu’un véritable phénomène de société. Au final, que représentent 1500 demandes sur les 16 millions d’habitants que compte New Delhi ? Les questions d’obtention d’une arme tendent également à relativiser ce fait. « Un révolver coûte au moins 30 000 roupies (environ 430€) et une licence est extrêmement difficile à acquérir » souligne le docteur Anuradha Chenoy, vice-présidente de Control Arms Foundation of India et professeure à l’Université Jawaharlal Nehru de Delhi. C’est à proximité du campus de cette université que la jeune étudiante avait pris le bus qui l’a menée à la mort.
Pour cette spécialiste des questions d’armes en Inde, l’armement des jeunes femmes ne leur apportera pas plus de sécurité. Au contraire, elle pense que ce phénomène entraînera la militarisation de la société et l’individualisation de la sécurité. « Une telle démarche amène à forcer les femmes à individualiser leur propre sécurité plutôt que de chercher une solution collective pour l’ensemble de la société » explique-t-elle. L’armement des femmes pose également la question de l’accroissement de la violence dans une société où ce sont elles qui souffrent le plus. « Est-ce-que les femmes américaines sont plus en sécurité avec leurs armes ? » s’interroge Anuradha Chenoy.
Une réponse législative
Si les questions d’armement envoient un message fort en direction de la société, c’est sur le plan législatif que l’Inde a souhaité répondre aux attentes du mouvement de protestations pour une meilleure protection des femmes. Le 21 mars dernier, le Parlement indien a adopté une nouvelle loi renforçant les sanctions contre les crimes sexuels. Désormais, un viol collectif est passible d’une peine de prison d’un minimum de 20 ans, et pouvant aller jusqu’à la peine capitale dans le cas où la victime décéderait ou se retrouverait dans un état végétatif.
L’amendement voté est une amélioration des lois criminelles datant de l’époque coloniale, toujours en vigueur en Inde. Néanmoins, nombreux sont ceux qui dans les milieux féministes auraient aimé voir une plus grande sévérité pour les affaires de viols commis par des agents étatiques. « Les citoyens ordinaires n’accordent pas beaucoup de confiance à la police en Inde. Dans des villes comme New Delhi, la police est mal entraînée et reste profondément ancrée aux principes patriarcaux. Elle inspire peu de confiance, particulièrement chez les femmes et les plus pauvres » admet le Dr. Chenoy. Malgré les tabous, c’est aussi l’impunité des forces armées dans les zones de conflits (Cachemire, états du nord-est) qui entre en ligne de mire de nombreuses associations.