01/12/2013 | Laurence M. pour Aujourd’hui l’Inde.
Le viol collectif perpétré sur une jeune fille, à New Delhi en décembre dernier, a suscité une vague de colère et de protestations dans le Nord de l’Inde et mis en exergue les violences dont de nombreuses femmes indiennes sont victimes. Aujourd’hui l’Inde fait le point.
L’Inde est un pays complexe, rempli de paradoxes, parmi lesquels la condition de la femme : les Indiennes font depuis longtemps de la politique, même à un très haut niveau (Présidente du Parti du Congrès, Premier Ministre, Présidente de l’Inde), elles sortent et travaillent librement pour la plupart mais elles restent soumises à des traditions ancestrales qui les considèrent comme inférieures et subissent de nombreuses violences au quotidien.
Une enquête récente du Thomson Reuters, place l’Inde en 4ème place du pire pays au monde pour la condition des femmes. Selon une recherche menée par les économistes Siwan Anderson et Debraj Ray, il ressort que 2 millions de femmes disparaissent chaque année en Inde dont 12% à leur naissance ; 25% à leur enfance ; 18% à l’âge de fonder une famille et 45% à un âge plus avancé.
Parmi les menaces auxquelles les Indiennes doivent faire face on compte :
– le harcèlement sexuel et le viol
– le kidnapping
– la maltraitance et la violence domestique
– l’infanticide des filles et l’avortement sélectif
– le mariage des fillettes
– la tradition de la dote et ses dérives ou les « dowry deathes »
Le harcèlement sexuel et le viol
Selon le Bureau National d’Enregistrement des Crimes du Ministère de l’Intérieur indien, 24 206 viols ont été recensés en 2011, sachant que toutes les victimes ne portent pas plainte. La honte, le déshonneur et la peur empêchent souvent les femmes de parler. Il s’agit d’une augmentation de 9,2% par rapport à l’année précédente. Plus de la moitié des victimes avaient entre 18 et 30 ans. Selon les rapports de police, les violeurs étaient connus des victimes dans 94% des cas. Les parents et voisins sont souvent impliqués dans ces affaires de viol. New Delhi compte plus de 17% du nombre total de cas de viols dans le pays. Seulement 26,4% des procès ont abouti à une peine contre les accusés. En 2012, sur les 635 viols commis à New Delhi, 1 seul a été pénalement sanctionné. En Inde, 1 violeur risque au pire 10 ans de prison.
Un Indien sur 4 déclare avoir déjà commis des violences sexuelles à l’égard des femmes. Un sur 5 a déjà forcé sa partenaire à avoir des relations sexuelles.
Beaucoup de crimes sexuels sont commis parce qu’il y a moins de filles que de garçons dans le pays. Le ratio disproportionné de 914 femmes pour 1000 hommes a créé un manque de filles et incite aux harcèlement sexuel ou au viol parce que les jeunes garçons ne peuvent pas se marier, surtout dans le Nord de l’Inde.
Le Kidnapping
En 2011, les rapports de police ont fait état de nombreux kidnappings qui représentent 19,4% des femmes disparues en Inde.
Le kidnapping est la conséquence du manque de filles dans le pays. Il fait également parfois l’objet de rançons.
La maltraitance et la violence domestique
La violence domestique et la maltraitance de la femme dans un couple de mariés ou au sein de la famille sont très fréquentes. Les cas de brûles et d’immolation par le feu sont nombreux. Plus de 100,000 femmes meurent chaque années à la suite de brûlures. L’immolation par le feu est une première cause de décès pour les femmes âgée de 15 à 24 ans. Nombreuses sont celles qui sont brûlées pour éviter de payer la dote de mariage.
L’abus de consommation d’alcool par les hommes a tendance à attiser la violence conjugale.
Le divorce est quasiment inenvisageable pour les Indiennes car il est souvent synonyme d’absence de revenus, de rejet social et de déshonneur. Il n’a d’ailleurs d’effet que s’il est décidé de commun accord entre les époux, ce qui est très rare dans une société patriarcale où l’homme a tout pouvoir sur la femme.
L’infanticide des filles et l’avortement sélectif
En raison d’une tradition patriarcale très forte, une fille a moins de valeur qu’un garçon. Pourquoi ? Parce-que avoir une fille est synonyme d’une dote à payer. Malgré l’interdiction légale de la pratique de la dote depuis 1961, elle est toujours pratiquée dans la plupart des mariages indiens. Cette tradition oblige la la famille de la future épouse à remettre une somme d’argent ou des cadeaux à la famille de son mari lors du mariage, ce qui représente une somme immense pour la plupart des gens.
Bien qu’une indienne enceinte n’ait pas le droit de connaître le sexe de son bébé, la loi est contournée et une échographie se troque facilement conte quelques milliers de roupies. (voir article sur la « tragédie des filles manquantes de l’Inde » /la-tragedie-des-filles-manquante)
Le mariage des fillettes
Selon l’Uncief, l’Inde totalise 40% des mariages forcés dans le monde et 70% des filles indiennes de moins de 18 ans sont déjà mariées.
Le mariage des fillettes permet aux familles de se débarasser d’une bouche à nourrir et d’économiser de l’argent. Il est fréquent au Rajhastan et dans les milieux ruraux. Malgré leur interdiction depuis 1860, la tradition est tellement encrée dans les mœurs que personne n’ose les dénoncer.
Les « dowry deaths »
Selon le rapport des économistes Anderson et Ray, 2,7% des femmes indiennes sont tuées dans des disputes liées aux payements de la dote ou « dowry deaths ». Comme mentionné précédemment, de nombreuses femmes sont brûlées ou s’immolent par le feu pour éviter de devoir payer la dote du mariage.
Les raisons de l’augmentation de la violence envers les femmes ?
Certes, les traditions patriarcales et misogynes indiennes sont lointaines et elles ont toujours traité les femmes de manière inégale par rapport aux hommes.
Les violences subies par les femmes indiennes telles que les viols, les accidents de brûlures, le recours à l’avortement sélectif, sont cependant en nette augmentation depuis quelques décennies. Les journaux locaux indiens ne désemplissent pas de faits divers horribles de femmes menottées et violées par leurs proches parents ; de fillettes en bas âge abusées par leur père ou oncles ; de femmes torturées ou brûlées en pleine face à l’acide sulfurique.
Comment expliquer une telle augmentation de violence envers les filles et les femmes indiennes ?
Tout d’abord, l’accès à la technologie moderne (échographie) permet de recourir à l’avortement sélectif. Par le passé, on ne faisait pas disparaître les petites filles comme on le fait aujourd’hui. Ensuite, l’augmentation importante de la consommation d’alcool par les Indiens attise les comportements violents des hommes vis-à-vis des femmes. Dans le cas du viol de l’étudiante de New Delhi, les auteurs de l’agression étaient ivres. Or, l’usage de l’alcool était très rare en Inde, auparavant. Le manque de filles en Inde, conséquence des avortements sélectifs et infanticides, entraîne de nombreux viols collectifs.
L’exode rural vers de grandes zones urbaines a pour conséquence la perte de repères. Aussi, dans les campagnes, l’ordre et la Justice étaient et restent assurés à un échelon local, au niveau des castes et des communautés. Dans les grandes villes, la justice est assurée par l’Etat qui a du mal à appliquer la loi et se montre faible. L’impunité des atrocités commises par les hommes envers les femmes contribue également à créer un climat propice à la violence. De plus, le fait que de nombreux politiciens seraient mêlés à des faits de viols, enlève toute crédibilité aux autorités censées régler les conflits.
Le rôle des Lois et de la Justice indiennes dans la protection des femmes indiennes ?
Une loi fut votée contre la violence faite sur les femmes en 2006. Elle fut seulement entrée en vigueur en octobre 2007.
Le Gouvernement indien a du mal à faire appliquer toutes ces lois. On ne s’en étonne pas lorsqu’on se fie à la presse indienne qui déclare que 27 des candidats aux élections nationales et 6 législateurs ont déjà été accusés de viol ?
La Justice est quant à elle très lente et les sanctions émises à l’encontre des agresseurs très légères par rapport à la gravité des faits de violence perpétrés à l’encontre des femmes.
Espoirs permis ?
Les manifestations organisées à New Delhi suite au viol collectif mené à l’encontre de la jeune fille de 23 ans vont, on peut l’espérer, forcer le Gouvernement à durcir la législation et à accélérer les procédures judiciaires qui sont actuellement très lentes et donnent lieu à un climat d’impunité non dissuasif pour les agresseurs de femmes.
Le Président de la Cour Suprême a déjà ordonné aux Juges de mettre en place des tribunaux spéciaux chargés d’instruire plus rapidement les crimes sexuels. Selon, lui, « des mesures devraient être prises pour créer immédiatement des tribunaux exclusivement chargés d’affaires de violences faites aux femmes pour une instruction accélérée ». Puissent ses paroles être mises en exécution….affaire à suivre !