08/24/2012 | Laurence M. (Aujourd’hui l’Inde).
Le Premier Ministre indien, Manmohan Singh, est-il “sur la sellette”, après la révélation d’un nouveau scandale de corruption qui a fait perdre à l’Etat indien près de 27 milliards d’euros dans le secteur minier? L’opposition exige désormais sa démission, et a menacé de bloquer les travaux de la session parlementaire jusqu’à ce que le Premier Ministre renonce à son poste.
L’évènement déclencheur: l’affaire de corruption dans les contrats d’exploitation des mines de charbon
Un nouveau rapport de l’Auditeur General au Compte (le CAG-équivalent de la Cour des Comptes en France) accuse le Gouvernement indien d’avoir fait perdre 27 milliards d’Euros au pays entre 2004 et 2009 en attribuant au rabais des permis d’exploitation de mines de charbon à des groupes privés, tout en omettant de les vendre aux enchèrese et donc au plus offrant.
Malgré que ce rapport d’audit ait disculpé Mohaman Singh,
l’opposition, par la voix, du BJP (le Bharatiya Janata Party), exige sa démission car elle estime qu’au cours de ces 5 années il était aussi Ministre du Charbon (durant trois ans et demi) et donc responsable des contrats signés.
Par conséquent, le Parlement indien a été contraint d’ajourner ses séances de travail pour le 4ème jour consecutif.
Le Gouvernement a tenté de se defendre en déclarant qu’il avait alloué les contrats d’exploitation à des entreprises privées car la Coal India Limited ne produisait pas assez de charbon. Argument peu convainquant puisque aucune augmentation réelle de la production de charbon n’a été enregistrée jusqu’à présent.
D’autres affaires de corruption avaient déjà éclaboussé le Gouvernement indien et fragilisé Mohaman Singh
Le gouvernement indien a déjà été éclaboussé par plusieurs affaires de corruption, notamment celle des Jeux du Common Wealth; celle des licences de telephone mobile deuxième generation (2G) qui aurait représenté un manque à gagner pour l’Etat de près de 30 milliards d’Euros; celle du “cast for votes” ou “coup pour le vote” qui consistait à verser une somme d’argent aux différents parlementaires, pour qu’ils votent en faveur de l’augmentation de l’énergie nucléaire en Inde (résultat d’un deal entre l’Inde et les Etat Unis d’Amérique). C’est lors de l’arresttion du Chef de la Cour Suprême de Justice, Mr PJ Thomas, en mars 2010, accusé d’avoir fermé les yeux sur des affaires de corruption en échange de bac-chiches, que l’intégrité de Mohaman Singh a été réellement mise en cause puisque ce dernier avait publiquement supporté l’accusé.
Même s’il n’est jusquà présent pas prouvé que Mohaman Singh soit directement impliqué dans ces affaires de corruption, sa faiblesse et son manque d’autorité sont mis en avant.Comme le déclarait l’analyste politique indien, Pratab Bhanu Metha dans l’”Indian Express”:”Ce rapport révèle que l’Etat indien est un régime moyenâgeux en décrépitude. Les plus hautes instances, à commencer par le Premier ministre, en portent la responsabilité. Bien sûr, Manmohan Singh est un homme honorable et honnête. Mais admettra-t-il que le gouvernement est coupable d’un pêché encore plus grand que la corruption : celui d’une incompétence si immense qu’elle met l’avenir du pays en danger ?”
Un autre facteur du déclin de la popularité du Premier Ministre indien: la conjoncture économique mondiale
Le Gouvernement de New Delhi doit faire face à une inflation galopante, une baisse de confiance des investisseurs et des consommateurs et une demande mondiale frileuse. La croissance économique en Inde n’a été que d’une moyenne de 6,4 % sur les trois derniers mois de l’année2011, alors que le pays avait enregistré une croissance de 8,5 % en 2010-2011 et qu’il avait espéré atteindre le “chiffre magique” de 9 % en 2011-2012.
Un sondage publié vendredi par le magazine India Today montre que le taux de popularité du BJP a dépassé celui de l’alliance au pouvoir (dont le Parti National du Congrès) en raison d’un mécontentement croissant du public sur l’inflation, la corruption et le chômage sous le règne de l’alliance au pouvoir depuis 2004.
Anna Hazare et Baba Ramdev: les icônes de la lutte contre la corruption et du mal-être du Gouvernement
Depuis l’année passée, Baba Ramdev et Anna Hazare sont devenus les deux icônes de la luttte contre la corruption en Inde. L’un est un septuagénaire ressemblant physiquement à Gandhi, l’autre est un maître yogi qui anime une emission de yoga à la télévision suivie par des millions d’Indiens. Tous deux ont réussi à rassembler plusieurs milliers de militants à New Delhi et ont soulevé l’enthousiasme des foules à plusieurs reprises. Tous deux utilisent le jeûne et la désobéissance civique comme moyen de faire plier le gouvernement à leurs exigeances.
Comme le déclarait l’analyste politique indien, Pratab Bhanu : “ces deux personalités sont la preuve vivante que le Gouvernement indien est faible et que le Premier Ministre n’a aucun leadership. Lorsque un grand nombre de personnes perdent leur confiance en leur gouvernement, ils se tournent vers des personnalités qui capturent leur imagination. C’est de cette manière qu’Anna Hazare et Baba Ramdev sont devenus les favoris d’une partie du peuple indien, agacée par la corruption à laquelle s’adonne la classe politique dirigeante”.
Quelles sont les chances de voir Mohaman Singh démissionner ?
Le Gouvernement de Mohaman Singh est victime de son incompétence mais également des machinations politiques menées par l’opposition nationaliste représentée en force par le Bharatiya Janata Party qui se prépare déjà à remporter les élections fédérales de 2013.
N’oublions pas que l’affaire de corruption des minerais de fer du Karnataka a mis en avant la culpabilité d’un haut placé du Bharitiya Janata Party où il y aurait eu un manque à gagner du Gouvernement indien de près de 3 milliards de dollars américains !
Mohaman Singh a la majorité des sièges parlementaires de par la coalition politique réunie au sein de l’Alliance Progressiste (United Progressive Alliance – UPA) dominée par le parti du Congrès National indien. L’UPA détient 310 des 543 sièges parlementaires, soit 38 de plus que la majorité absolue.
Face à lui, l’Alliance Démocratique Nationale (National Democratic Alliance – NDA) réunie autour du le Bharatiya Janata Party son principal opposant, ne fait pas le poids. Il faudrait donc que plusieurs partis de la coalition parlementaire de l’UPA se désolidarisent du Premier Ministre indien pour obtenir sa démission. Or, rien n’est moins sûr. S’il n’obtient pas le retrait de Mohaman Singh de la scène politique de New Delhi, le BJP aura au moins atteint son premier objectif: celui d’augmenter sa popularité en vue des élections de 2013 et de salir d’avantage l’image du Gouvernement actuellement au pouvoir.